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La Gazette de la Société et des Techniques - N°68 - Novembre 2012
En réalité, les «
smart grids
»
consistent aujourd’hui pour
l’essentiel en un ensemble de compteurs connectés à
internet, pouvant être relevés à distance et faire de la
tarification dynamique ainsi que du délestage sélectif. La
grande question n’est pas celle de la faisabilité technique,
mais bien celle de l’acceptabilité par les consommateurs de
ce type de pratiques.
Le délestage sélectif consiste à autoriser le fournisseur
d’électricité à arrêter et démarrer à discrétion des appareils
chez ses clients. Cependant, de nombreux appareils, comme
les téléviseurs ou les cuisinières, ne peuvent être arrêtés sans
une réelle perte de valeur d’usage pour ces clients.
La tarification dynamique consiste en l’envoi en temps réel
de « signaux prix » par le fournisseur à ses clients. On peut
imaginer un système heures pleines/heures creuses avec des
prix différenciés suivant les tranches horaires, variant suivant
les conditions météo et/ou la date, etc. Mais comment attirer
les clients vers un type d’offre où ils devraient suivre les prix
de leur électricité comme un
trader
suit l’évolution des cours
de bourse, alors que la plupart ne sont pas prêts à quitter les
tarifs réglementés ?
Enfin, la connexion des compteurs à internet pose la question
de la sécurité informatique. Comment garantir à un client
qu’il ne sera pas laissé dans le noir par un compteur piraté ?
En conclusion, la croissance de la production d’électricité à
partir des énergies intermittentes conjuguée à une volatilité
accrue de la demande pose un défi considérable au système
électrique, auquel les «
smart grids
»
ne semblent pas en mesure
de répondre dans l’immédiat.
Réseau et oppositions des populations
Comparons une éolienne et un barrage au fil de l’eau de même
puissance. Les deux installations nécessitent le même câble et le
même transformateur pour se connecter au réseau. Si l’éolienne
produit au mieux pendant 2 500 heures par an, le barrage
peut fonctionner jusqu’à 8 500 heures. En conséquence, les
coûts réseaux de l’éolienne seront par mégawatt-heure produit
quasiment quatre fois plus élevés, sachant qu’il faudrait en
plus un moyen de production supplémentaire pour fournir
du courant pendant les 6 000 heures restantes.
Jusqu’à présent, les surcapacités de production non
intermittente nées de la crise, ont fait que la seule contrainte
a été d’installer les lignes électriques permettant de
raccorder aux consommateurs les capacités de production
intermittentes. Cela représente déjà un défi considérable
pour les gestionnaires de réseau, car la construction de toute
nouvelle ligne électrique rencontre une opposition croissante
des populations concernées. Et une fois les recours légaux
épuisés, les opposants au projet conservent la possibilité de
mener des actions coup-de-poing dont le retentissement
médiatique peut être important.
Les gestionnaires de réseaux procèdent donc avec la plus
grande prudence et recourent fréquemment à des lignes
enterrées afin de protéger le paysage. Les technologies sont
simples et éprouvées, mais elles coûtent dix fois plus cher.
L’enjeu ici n’est toutefois pas tant le coût (qui représente tout
de même 10 % de la facture finale pour le consommateur)
que les délais : RTE indique qu’il faut aujourd’hui compter
huit ans entre le lancement d’un projet et la construction du
premier pylône ou de la première tranchée.
En plus de ces lignes de raccordement, RTE estime avoir besoin
de développer 8 GW d’interconnexions supplémentaires
d’ici 2020 afin d’optimiser le réseau électrique français et,
notamment, de garantir un approvisionnement suffisant
lors des pointes de consommation hivernales. Ici encore,
le temps plus que l’argent complique l’équation : la
réalisation d’interconnexions est le résultat d’un dialogue
entre administrations et gestionnaires de réseau partenaires,
dialogue qui peut durer fort longtemps. Le projet de ligne
France-Espagne est en discussion depuis plus de 25 ans…De
même, on considère que l'Allemagne devrait construire 4 000
km de lignes supplémentaires pour transporter la production
électrique intermittente, située majoritairement dans le nord
du pays, sur les lieux de consommation, situés majoritairement
dans le sud. Or, en dix ans, elle n'a été à même d'en construire
que 100 km…
Les capacités d’appoint et de secours
Mais ce n'est pas tout : lorsque les énergies intermittentes
représenteront une part significative du parc de production, la
gestion des fluctuations de l'offre et de la demande d'électricité
demandera des capacités d’effacement, d’appoint et de secours
équivalentes à plusieurs dizaines de centrales nucléaires !
Or, paradoxalement, la tendance est plutôt à la fermeture
de capacités d’appoint flexibles : GDF Suez a annoncé en
juin 2012 son intention de fermer trois unités totalisant 900
MW de puissance en Belgique d’ici à septembre 2013 et, en
France, les centrales au charbon de Saint-Avold et du Havre
devraient respectivement être fermées par E.ON et EDF en
2013
et 2015.